// Document n°3

Documents n° 3

Enquête sur les années de guerre
(1940 - 1944)
de Guy de Crécy

Extrait d'un document réalisé en 1994 par Alain Jourdier lors du cinquantième anniversaire de la mort de Guy de Crécy 

Le 16 juin 1944, Guy de Crécy s'éteignait au "Revier" du camp de concentration de Hambourg-Neuengamrne.
A l'occasion du cinquantième anniversaire de sa mort (et du centième anniversaire de sa naissance...) les quelques pages qui suivent n'ont d'autre ambition que de perpétuer, à l'intention de sa famille, le souvenir de la conduite exemplaire qui a été la sienne tout au long de sa vie. Les témoignages qui sont à la base de ce document ont été recueillis par les petits-enfants de Guy de Crécy: Guy Jourdier, Eynard et Jérôme de Crécy, en 1989, auprès d'habitants du village de Frôlois et de la région, qui ont bien connu Guy de Crécy pendant la guerre de 1940-1944.
S'y ajoutent les souvenirs, recueillis en 1994, de compagnons de captivité à la prison de Dijon. La précision de certaines évocations manifeste la profondeur de la marque qu'a laissée Guy de Crécy, cinquante ans après les événements, sur les personnes qui l'ont alors côtoyé.


ACTIVITES DE RESISTANCE.


En 1939, malgré les séquelles de ses blessures de la première guerre mondiale (annexe 1: extrait de "L'Illustration", 1915), Guy de Crécy formule une demande de réintégration dans les cadres de l'armée, qui, bien que réitérée a la veille de la "débâcle", restera sans suite (annexe 2).
Dés l'armistice signé, le village de Frôlois se trouvant à proximité de la ligne de démarcation, Guy de Crécy entreprend de faire passer en zone libre d'abord des militaires en rupture de leurs unités, puis des prisonniers évadés : il a été ainsi, en participant à la mise en place de filières, parmi les premiers résistants avant toute organisation de réseaux (annexes 3 et 4).

"Il y avait de toutes catégories, de toutes races: beaucoup de noirs, de Sénégalais ...on lui disait: "Monsieur de Crécy, c'est imprudent! "... c'était un danger permanent, 
il en avait conscience mais le faisait quand même." 
(témoignage verbal d'un habitant de Frôlois).

En attendant le moment opportun, les candidats au départ étaient cachés en des lieux discrets où Jacqueline de Crécy leur portait de quoi se restaurer.
L'une des filières passait par Montceau-les-Mines où les évadés étaient pris en charge par Antoinette de Bellefond, soeur de Jacqueline de Crécy, qui leur faisait passer la ligne, le château des Puits, demeure de la famille, se trouvant en zone libre.
C'est sans doute pour cette activité que Guy de Crécy a été amené à coopérer avec le Chanoine Kir.

A partir de 1943, après l'occupation de la zone libre, Guy de Crécy se rattache à un maquis : le "Maquis Bernard". Il devient agent de liaison du chef de ce groupe, Bernard Guillemin, le "Commandant Bernard", âgé de vingt-cinq ans environ. Ce dernier raconte :

" J'ai vu Guy de Crécy pour la première fois en août 1943 avec le père Vincent, il est alors entré dans ma formation: cela se passait sur la route de Thénissey. Il a été inscrit officiellement au groupe en octobre 43, comme agent de liaison, c'est lui qui me l'a demandé (j'étais en compagnie de Paul Gelot), mais il ne faisait pas partie, à proprement parler, du groupe dont les membres ne savaient pas qu'il était mon agent de liaison: j'avais beaucoup de notes de lui qui ont été détruites au cours d'une attaque du maquis... son activité consistait à organiser le ravitaillement des maquis, à recueillir et transmettre des renseignements sur les convois, les déplacements des troupes allemandes, à surveiller certaines personnes... c'était un grand patriote, très 'Vieille France'... son nom de code était 'Monsieur' .La politique était bannie, je ne savais pas, à ce moment là, que les F.T.P. étaient dirigés par les communistes : j'ai quitté les F.T.P. en février44...
Guy de Crécy vivait normalement chez lui et était ainsi plus utile que certains maquisards ; il n'a jamais participé aux actions de sabotage ; je lui demandais conseil, parfois il freinait certaines imprudences...
".

 LES CAUSES DE L'ARRESTATION 

La dernière remarque du Commandant Bernard n'est pas sans intérêt, quand on la rapproche des événements locaux qui ont précédé l'arrestation de Guy de Crécy.
Il ressort des divers témoignages recueillis qu'à l'instar de ce qui se passait dans d'autres régions, la meilleure entente ne régnait pas entre les différents réseaux de résistance : 50 ans après, les langues se délient :

"Les réseaux se bouffaient le nez et, même, se dénonçaient !... Guillemin prétendait avoir 200 types... je n'étais pas bien avec lui : très courageux mais sale caractère... les dénonciations n'avaient souvent rien à voir avec la résistance..."
( extraits du témoignage oral d'un médecin de Dijon, ancien résistant).

C'est ce qu'on appelle dans la région "l'affaire Werner" qui est à l'origine d'un grand nombre d'exécutions et d'arrestations dont celle de Guy de Crécy.
Le récit qui suit est basé sur le recoupement de trois témoignages oraux recueillis en 1989 et 1994:

Ce prisonnier, blessé, pose quelques problèmes au maquis qui ne sait qu'en faire, le fait soigner par des médecins amis et le "trimballe" par monts et par vaux dans un tombereau, pour le garder finalement dans une ferme isolée, sous la surveillance d'une jeune fille à qui il se met à parler français..., faisant ainsi comprendre aux maquisards qu'il n'avait rien perdu des propos échangés entre eux en sa présence.
Il devenait ainsi dangereux de le libérer... et on décida de le supprimer, ce qui fut fait.
Cette "solution" s'avéra finalement illusoire, le Major Werner ayant pris la précaution de "perdre" sa casquette sur une route pendant son transfert, ce qui facilitait la localisation par les Allemands, de la zone de refuge des maquisards.
La Gestapo lance des représailles immédiates:

Les troupes allemandes se mobilisent contre le maquis :

Au cours des mois de mars et avril, les Allemands restent mobilisés contre les maquis désormais bien localisés, et suscitent des dénonciations :

La veille au soir, Guy de Crécy avait rencontré Madame Guenon et s'était montré très laconique :"il s'est assis sur une chaise et il m'a dit: 'je ne peux rien vous dire'..."
Le Commandant Bernard parvient à échapper à la rafle.

 A LA PRISON DE DIJON .

Guy de Crécy restera un mois a la prison de Dijon, avec, pour compagnons de cellule:

Des prisonniers de passage portaient à 5 le nombre des occupants de la cellule prévue pour 4 : on dormait alors à tour de rôle, à même le sol.

Jean Mattéoli garde, 50 ans après les événements, un souvenir très précis de Guy de Crécy qui "aurait pu être son père". Il se souvient qu'il souffrait visiblement, pendant ses premiers jours de détention, de la promiscuité : toilette en commun autour d'un seul robinet, "tinette"...
Toutefois, la gêne des débuts a rapidement disparu car Guy de Crécy était "le contraire de l'aristocrate fier de sa caste... Il était d'une exquise courtoisie... le seul à vouvoyer... Il s'inquiétait beaucoup de ne pas tenir au cas où il serait torturé."
(J.J. Storz l'a été mais sans doute pas Guy de Crécy).
Les conversations entre détenus restaient des plus neutres et banales, la présence d'un "mouton" étant toujours possible.
Jean Mattéoli recevait, grâce à ses liens d'amitié avec le fils du directeur de la prison, des colis qu'un gardien de la Wehrmacht s'arrangeait pour "balancer" dans la cellule, le matin de très bonne heure. Le contenu en était partagé.
Il se rappelle aussi avoir fait demander à ses beaux-parents des vêtements pour Guy de Crécy et, notamment, une paire de pantoufles ; détail émouvant: sur une liste, crayonnée, adressée à sa femme, début juin, d'objets et d'effets à lui remettre, si possible, avant son départ pour l'Allemagne, Guy de Crécy a raturé la mention "pantoufles".
Jean Mattéoli garde en mémoire la simplicité avec laquelle Guy de Crécy s'agenouillait chaque soir pour sa prière personnelle, attitude qui impressionnait fortement ses jeunes compagnons de cellule.
Guy de Crécy a eu peu d'occasions de rencontrer en prison ses concitoyens de Frôlois: Monsieur Guenon a pu l'apercevoir et les propos échangés ont été des plus brefs :
" II m'a dit: "vous n'êtes pas au secret?", j'ai répondu "non" ".
Mademoiselle Bertrand (Madame Guillemin) incarcérée en même temps que lui, avant d'être déportée à Ravensbrück, n'a vu à la prison aucun détenu venant de Frôlois.

 VOYAGE VERS COMPIÈGNE ET L'ALLEMAGNE 

Guy de Crécy et certains de ses compagnons ( dont Jean Mattéoli et le Docteur Galimard) sont embarqués dans un train pour Compiègne le mercredi 31 mai 1944.
Les prisonniers étaient enchaînés par 2 ou 3 (témoignages de Jean Mattéoli, enchaîné avec le camarade qui, par peur, l'avait dénoncé, et de Monsieur Guenon qui voyagera un mois plus tard dans les mêmes conditions); il en fut très certainement ainsi pour Guy de Crécy.
Le départ de Dijon fut connu de Jacqueline de Crécy par trois canaux différents :

Il ressort de ces documents que Guy de Crécy partait confiant et en bonne santé, sa seule angoisse concernant sa femme et ses enfants.
Le train eut à subir, lors d'un arrêt dans une gare, un bombardement de l'aviation alliée: les S.S. qui assuraient la surveillance se sont alors glissés sous les wagons...
(témoignage de Jean Mattéoli).
Les prisonniers ont dû arriver à Compiègne, base de transit vers les camps allemands, le 2 juin. Nous n'avons aucun témoignage précis sur cette étape, les détenus d'une même origine étant dispersés dans une foule de 2 à 3.000 hommes.
Dans les premiers jours de juin, Jeanne de Crécy, soeur de Guy, et sa nièce Ninon Chaurand, porteuses d'un sac militaire contenant des provisions préparées par Jacqueline de Crécy, se présentent à la prison de Compiègne où elles apprennent qu'un convoi vient de partir pour l'Allemagne.
Jeanne de Crécy parcourra le quai longeant un train de prisonniers en partance, en criant :
"Crécy...Crécy..."
et obtient finalement une réponse: 
"Ici !"; 
Jeanne peut alors apercevoir son frère à travers le grillage d'une étroite fenêtre; trop émue, elle ne peut que lui dire
"tu pars ?"
et il répond avec son courage : 
"Eh oui, je pars pour la Bochie". 
( temoignage écrit de Ninon Chaurand, 1994).

Telle est la dernière rencontre de Guy de Crécy avec un membre de sa famille.
Ce jour là, un bombardement allié atteignait aussi la gare de Compiègne.
Le voyage de Compiègne à Hambourg-Neuengamme ayant duré quatre jours, Guy de Crécy est entré au camp, au plus tôt le 6 juin 1944, à supposer qu'il soit resté à Compiègne une seule journée.
Là encore, les témoignages sont des plus ténus : le plus circonstancié émane du Docteur Galimard (décédé en 1987); il a été recueilli par la Gendarmerie en 1946 ; il en ressort que Guy de Crécy a été admis à l'infirmerie du camp quelques jours après son arrivée, ayant contracté une angine, suite aux conditions très pénibles du voyage (quatre jours dans un wagon sans une goutte d'eau).
Le même témoin rencontrant Monsieur Guenon, le 1° août 44, à son arrivée à Neuengamme, lui dit: "Tu ne chercheras pas Monsieur de Crécy, il est mort
( entretien avec Monsieur Guenon, 1989).

L'acte de décès dressé par l'Administration Allemande indique comme cause du décès: "Insuffisance cardiaque".
Sa famille ne connaîtra la mort de Guy de Crécy avec certitude qu'en mai 1945, après la capitulation allemande et la libération des camps. Pendant cette période, de multiples démarches sont tentées pour connaître sa situation.

A travers les témoignages rassemblés, qu'ils soient contemporains des événements ou recueillis 50 ans plus tard, transparaît, comme un fil d'Ariane, la foi Chrétienne qui animait Guy de Crécy ; elle est, pour une large part, à l'origine de la profonde impression qu'il a laissée sur ceux qui l'ont connu ou simplement approché.
En conclusion à ces quelques pages, nous "piquerons", parmi les propos des uns et des autres, quelques "fioretti " mettant en évidence la sincérité avec laquelle il pratiquait sa religion et en tirait les conséquences sans concession à "l'esprit du monde":

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