Documents n° 12

Petite chronique du Trembloy
écrite par Louis de Crécy

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Avant-propos :

 

De Gray à St Jean-de-Losne la Seine coule grosso modo du N.E. au S.O. et, sur 50 Kms constitue la limite approximative entre les deux Bourgognes, la ducale sur la rive droite, la comtale ou "Franche Comté" sur la rive gauche.

La série d'affluents Nord-Sud que reçoit la Saône sur sa droite, la Vin-geanne, la Bèze, la Tille et l'Ouche sont bourguignonnes et non comtoises au moins à la fin de leur parcours (plus au Nord elles sont langroises ou champenoises).

Nos premiers ancêtres connus, en tant que Seigneurs de Crécey-sur-Tille étaient donc des bourguignons bon teint. La branche ainée issue de Jean de Crécey s'éteignit vite (1388). Nos ancêtres directs issus d'Eudes de Crécey (II) frère de Jean ne possèdent plus que des droits infimes à Crécey et n'y auront plus rien après 1450. Mais ils n'en restent pas moins bourguignons par leurs fiefs (Percey, Grenant, Blaisey, Venarey, Lentilly, Les Laumes) et par leurs alliances Grenant (famille originaire d'un fief sis à 5 Km de Crécey), Chardoine (Les Seigneurs de Chardoine ou Sardonio étaient des familiers des Ducs de Bourgogne de la première race), Blaisey (importante famille originaire de Blaisy au Nord de Dijon).

Ce n'est qu'avec le mariage de Nicolas de Crécy (V) avec Jeanne du Trembloy que l'on voit apparaître le premier nom franc-comtois dans l'histoire de no-tre famille.

Et c'est bien ce premier mariage qui finit par attirer puis par fixer en Franche Comté la seule branche subsistante des Crécy. Mais cette implantation sera progressive et prendra plusieurs siècles.

En esquissant cette petite "Chronique du Trembloy", nous aurons donc surtout pour but d'évoquer eu raccourci une grande partie de l'histoire de notre famille. On nous pardonnera donc les nombreuses digressions qui retarderont notre récit.

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l - La Maison forte du Trembloy

Sur la route de Gray à Pesmes qui longe la rive comtoise de la Saône et à 6 kms au Sud de Gray, le petit village du Trembloy occupe un territoire à peu près plat et sans grand caractère dans une vallée large de 5 à 6 Kms et fait face au village et au château de Mantoche sur l'autre rive.

L'étymologie du nom de Trembloy se rapporte probablement à l'arbre dénommé "tremble" essence assez commune en ces lieux et qui affectionne les terrains frais et humides.

Adossé à de très médiocres reliefs qui ne méritent qu'à peine le nom de collines, ce site ne semblait pas prédisposé à l'érection d'un château féodal. Pas de piton comme à Saux ou à Grancey, pas même de falaise abrupte comme à Pesmes.

C'est que, à l'époque de la construction de la Maison forte du Trembloy, les rares situations topographiques vraiment favorables étaient déjà occupées par des constructions militaires datant souvent des temps carolingiens.

Les nouvelles implantations destinées à garder des vallées, devaient à dé-faut d'autres défenses naturelles se contenter de s'assurer une vue assez étendue et des possibilités de fossés toujours en eau. Un fond de vallée large et plat où l'on pouvait à volonté détourner une fraction du cours d'eau pour remplir les douves convenait assez bien. C'est la solution qui fut adoptée au Trembloy au début du XII° siècle comme elle le sera à Crécey à la fin du même siècle.

Le château primitif devait s'élever à l'emplacement ou subsiste la vielle bâtisse sans grand cachet, entourée de murs épais où réside encore le baron de Tricornot dont la famille a succédé à la nôtre dans la Seigneurie du Trembloy.

Quels furent les premiers bâtisseurs en cet endroit ? Selon plusieurs auteurs des Seigneurs de la Résie (qui tiraient leur nom d'un village voisin) auraient construit le Trembloy au début du XII° siècle et en auraient pris le nom. On trouve un connétable de Bourgogne Hugues du Trembloy en 1173.

Les deux seigneuries de la Résie 1 et du Trembloy leur appartiennent comme elles appartiendront toutes deux aux Crécy et ne seront partiellement dissociées qu'au XVII° siècle quand seront dispersés les biens de Guy de Crécy (X).


1 Les seigneurs de la Résie étaient une branche cadette des sires de Rup-- issus d'un cadet de la puissante maison de Pesmes. Certain auteurs rattachent les sires de Pesmes à la maison de Vienne issue de Comtes du Viennois descendant de l'éphémère Roi de Bourgogne Boson, gendre de Louis le Débonnaire.
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II - Un guerrier du X° siècle et son gendre, Guy du Trembloy et Nicolas de Crécy

Le mieux connu des Seigneurs du Trembloy fut Guy du Trembloy qui vivait au milieu du XIV° siècle. C'était un Chevalier de quelque importance puisqu'il devait fournir à son suzerain en cas de guerre 4 hommes à cheval (avec leur monture et leur valet d'armes).
C'est en tel équipage qu'il prit part en 1360 à une grande expédition punitive contre les bandes de pillards dirigées par Thiebaud du Chauffour qui ravageaient le pays. Perrin du Trembloy et Simon du Trembloy frères ou cousins de Guy étaient de la chevauchée avec respectivement 2 et 3 hommes montés. On réussit à reprendre à Thiebaud le château de Grattedos où il recelait le produit de ses rapines. Ce fut une des dernières expéditions ordonnées, en cette période fort troublée, par le dernier Duc de Bourgogne de la première race (Capétiens) Philippe de Rouvres 1.

En avril 1362, après la bataille de Brignais qui vit la défaite des bourguignons, les Grandes Compagnies à la solde des Anglais capturaient Guy du Trembloy et en tiraient une rançon de 200 livres tournois.

Il se vengea l'année suivante lorsqu'en Janvier 1363 les mêmes compagnies s'étaient emparées du petit village bourguignon de Bussy-la-Pesle. Guy du Trembloy sous les ordres de Henri de Bar fut la cheville ouvrière de l'expédition qui les en chassa 2.

Comme on le voit par ce dernier exemple, les guerres auxquelles prit part Guy du Trembloy étaient celles menées par le Duc de Bourgogne et se situent le plus souvent en Bourgogne Ducale. Or Guy du Trembloy était franc-comtois. Théoriquement avant 1361 Duché et Comté étaient réunis sous la même autorité, celle du Duc, mais le Comté était en état de rébellion quasi-permanente et il est étonnant qu'un seigneur franc-comtois ait été employé au Duché et y ait servi avec tant de vigueur. A partir de 1361 d'ailleurs les deux provinces sont séparées, le Duché fait retour à la Couronne de France en attendant de constituer en 1364 un apanage pour le fils cadet du roi Valois, Philippe le Hardi, tandis que, jusqu'en 1366 la Comté reste la propriété de Marguerite de Bourgogne.

Comment donc Guy du Trembloy a-t-il pu être appelé à guerroyer au Duché en 1362 et 1363 ?


1 Philippe de Rouvres devait mourir misérablement à vingt et un ans en 1361 entouré de quelques compagnons dont Guillaume de Crécy fils de Simon (III) qui devra se faire rembourser par le trésor ducal une avance faite par lui pour subvenir aux frais des obsèques du Duc.
2 C'est ainsi que Bussy-la-Pesle où, 500 ans plus tard (12 Septembre 1849) Raoul de Crécy (XVIII) devait épouser Marie de Courtivron avait été délivré par son lointain ascendant Guy du Trembloy.

 

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L'explication en est probablement dans son mariage avec Alexis de Grignon dame les Laumes, Venarey, Lantilly, riche héritière bourguignonne. Par ce mariage Guy du Trembloy est devenu un seigneur plus puissant au Duché qu'en Comté et il suit donc de préférence le sort de la noblesse bourguignonne.

La dualité d'appartenance de Guy du Trembloy se retrouve dans les mariages de ses enfants :

    • Le garçon Jean du Tremblay héritier de la plupart des biens de ses 2 parents épouse Marguerite d'Oiselet d'une famille tout à fait Comtoise.
    • La fille Jeanne épouse au contraire un bourguignon cent pour cent en la personne de Nicolas de Crécy (V) et lui apporte en dot le fief de Lantilly.

Nicolas tient de sa mère Isabelle de Blaisey une partie de l'importante seigneurie de ce nom qu'il partage avec son oncle Aleza de Blaisey et avec sa tante Marguerite de Blaisey épouse de Guy de Pourtailler Maréchal de Bourgogne et authentique descendant d'un cadet des Comtes de Champagne.

Nicolas de Crécy était fils unique (son frère Perrenot était mort jeune) et orphelin de bonne heure. Il semble par son impétuosité et un tempérament querelleur avoir été le digne gendre d'un beau-père valeureux guerrier. C'est lui qui, en 1371, âgé d'à peine 18 ans leva des hommes d'armes à sa solde pour rançonner et piller deux villes (Susannecourt et Thonance) appartenant à l'évêque de Châlons-sur-Marne dont il aurait eu "juste sujet de se plaindre".

Il devra eu 1377 se faire pardonner cet écart de conduite par Charles V Roi de France qui lui enverra des lettres de rémission " par égard pour les services qu'il a, par la suite, rendu au roi dans ses guerres".

Nicolas de Crécy eut, de Jean du Trembloy, trois fils : Oudot, Jean et Philippe et deux filles : Isabelle et Jeanne.

    • Oudot épousa Isabelle de Saux de l'illustre maison bourguignonne dont les Crécy semblent être une branche et n'en eut qu'une fille: Jeanne mariée à Antoine de Messey.
    • Philippe épousa Pernette de Marey d'une famille bourguignonne posses- sionnée en Nivernais. La mère de Pernette de Marey, Marie de Fontaine semble avoir été de la famille de St Bernard. Il en eut deux garçons morts jeunes et une fille affligée malgré son sexe du prénom d'Antoine.
    • Jean dont est issue notre branche épouse Jeanne du Bois fille d'un conseiller du Duc de Bourgogne, Guillaume du Bois , Seigneur de Chastelier et de Posange, premier maitre d'hôtel du Duc Philippe le Bon et futur bailli d'Auxois.

Quant aux filles, l'une Isabelle épousa un prédécesseur de Guillaume du Bois comme bailli d'Auxois, Jean de Rochefort et la seconde Jeanne fut religieuse à Puy d'Orbe.

Rien que de très bourguignon dans ces alliances. Cependant les enfants de Nicolas de Crécy (V) gardaient une cousine franc-comtoise en la personne de Marie du Trembloy.


1 Les d'Oiselet descendent d'un des premiers Comtes de Bourgogne Etienne II qui eut de Blandine de Cicon un bâtard richement doté par Etienne d'Oiselet
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III - Une veuve prodigue : Marie du Trembloy


Jean du Trembloy fils de Guy et beau frère de Nicolas de Crécy avait, nous l'avons vu, épousé une franc-comtoise en la personne de Marguerite d'Oiselet.

Nous savons fort peu de chose de lui sinon qu'il n'eut qu'une fille unique Marie du Trembloy. Celle-ci porta l'héritage à son mari Catherin de Serin qui semble avoir été bourguignon.

Marie du Trembloy ne donna pas d'enfants à Catherin de Serin et resta veuve vers 1440. Contrairement aux usages du temps elle ne se remaria pas. Elle était riche et libre, on ne sait si elle fut "joyeuse" mais, à coup sûr, elle passa pour prodigue.

Il est normal que sa parenté ait surveillé du coin de l'œil les agissements d'une cousine riche et sans descendance. Les Crécy étaient les plus proches parents de Marie dans la lignée paternelle et parmi eux, le plus vigilant semble avoir été Jean de Crécy (VI) notre ancêtre, fils de Nicolas (V).

Bien en cour auprès des Ducs Valois par son mariage et par ses services Jean occupe une position influente. Il avait suivi Jean sans Peur en Artois en 1414, il est nommé Gouverneur des châteaux d'Isles et de Juilly par Philippe le Bon en 1423, il est écuyer d'écurie du même en 1426. Il sera en 1433 un des chefs de troupes du Duc et avait reçu maintes preuves de l'estime dans laquelle on tenait ses services guerriers. En 1432 il fut adjoint à son beau-père Guillaume du Bois qui avait lui-même succédé à Jean de Rochefort beau frère de Jean de Crécy dans la charge de bailli d'Auxois. Sa mission de confiance, délicate entre toutes consistait à faire rentrer la taxe spécial de 40.000 livres votée par les États de Bourgogne pour subvenir aux guerres du Duc.

C'est ce même Jean de Crécy que nous voyons le 5 Juin 1443 obtenir du Parlement de Dole une nomination de curateur de demoiselle Marie du Trembloy sa cousine germaine " à cause de sa prodigalité".

Il était temps, car Marie du Trembloy avait déjà commencé à engager ses biens à droite et à gauche pour se procurer de l'argent frais.

Elle avait donné en gage sa seigneurie des Laumes à Guy de Pontailler et il faudra, après sa mort, que Jean de Crécy en septembre 1447 obtienne des lettres royales pour récupérer les Laumes.

Elle a d'autre part soi-disant vendu le Trembloy et la Résie à Louis Morel Seigneur d'Escrilles, un comtois au service du Duc de Bourgogne, capitaine châtelain et juge à Orgelet.

D'une famille assez obscure originaire d'Orgelet, Louis Morel s'est élevé par la robe et a fait fortune. Il a réussi un mariage brillant en épousant Simonette d'Oiselet petite nièce de Marguerite d'Oiselet et par conséquent nièce à la mode de Bretagne de Marie du Trembloy.

En droit féodal Marie aurait pu licitement vendre à Louis Morel tout fief qu'elle aurait hérité de sa mère (une d'Oiselet) par laquelle elle était parente au dit Morel. Mais elle ne pouvait en aucun cas lui aliéner des biens nobles qui lui venaient de sa lignée paternelle comme le Trembloy et la Résie. Les Crécy étaient les héritiers naturels les plus proches de ces biens et ça n'était qu'à eux ou à d'autres parents issus des Trembloy que pouvaient être vendus ces biens.

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La mort de la veuve prodigue dut intervenir entre 1443 et 1447. Jean de Crécy en son nom et à celui de ses frères entreprit aussitôt la récupération de son héritage.

Nous avons vu que pour les Laumes, Jean avait obtenu dès 1447 des lettres de réintégration adressées au bailli de Sens. Mais ce n'était qu'une mesure conservatoire, analogue à nos instances de référé. Procès s'en suivit qui ne devait se terminer que le 24 Mai 1486 par une décision du Parlement de Paris en faveur des enfants de Jean de Crécy. Ceux-ci furent solennellement intronisés comme seigneurs des Laumes le 16 avril 1487.

Voilà donc un procès qui a duré 40 ans, délai qui en dit long sur la rapidité de la Justice au XV° siècle.

Mas le record de la lenteur établi par le Parlement de Paris fut battu, et de loin, par le Parlement de Dole lorsqu'il s'est agi de récupérer le Trembloy et la Résie. Ce procès fut vraisemblablement entamé en même temps que l'autre c'est à dire vers 1445. Il n'eut son épilogue qu'en 1523 soit 80 ans plus tard. Il va nous permettre de brosser le tableau de l'évolution de notre famille pendant la deuxième moitié du XV° siècle.


IV - Une brillante génération de Crécy au service de Charles le Téméraire


Jean de Crécy (VI) dut mourir aux alentour des années 1450. Il laissait 6 garçons qui représentèrent notre famille à la cour du dernier grand Duc d'Occident, Charles le Téméraire

Nicolas de Crécy, l'ainé, fut, comme son père, écuyer d'écurie du Duc. Marié à Jeanne de Vaithe il fut l'auteur d'une branche éteinte au XVI° siècle et qui restera entièrement bourguignonne.

Innocent le second, fut d'Église. Il eut l'honneur d'être le chapelain, l'aumônier particulier de Charles le Téméraire. Cette importante fonction lui permit de collectionner les canonicats (Autun, Cambrai, la Ste Chapelle de Dijon, Besançon Auderlecht en Belgique)... et les prébendes lucratives qui lui étaient attachées. Il a accompagné le Duc dans ses déplacements et le musée de Gruyère (Suisse) montre, dit-on, une chasuble brodée aux armes des Crécy ayant appartenu à Innocent de Crécy lors de la malheureuse expédition bourguignonne en cette région à Morat.

Pierre de Crécy, le troisième, fut, en survivance de son grand-père (Guillaume du Bois premier maitre d'hôtel) écuyer panetier du Duc.

Une mission de confiance lui échut lorsqu'il fut commis par le Duc pour conduire en Turquie l'artillerie confisquée à Colard de Commines au Château de Runnescure. Pierre ne fut pas marié.

Guillaume de Crécy, le quatrième était comme son frère écuyer panetier du Duc de Bourgogne. Il n'eut pas d'enfants d'Isabelle de Goux qu'il avait épousé en1491.

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Jean de Crécy le cinquième qui fonda la branche franc-comtoise seule subsistante de nos jours était également écuyer du Duc de Bourgogne. Il avait réalisés probablement à la cour ducale, un brillant mariage en épousant Agathe de Lizac fille unique de Jean de Lizac, seigneur de Blicquy en Hainaut, Houssay, Sous, Pargnan, Valavergny en Vermandois, prévôt héréditaire du Laonnois et de Antoinette de Moy de la puissante maison de Moy qui devait s'éteindre dans la Maison de Lorraine. Cette alliance écartelait encore notre famille dans une troisième direction en lui donnant des intérêts non seulement en Bourgogne et en Comté, mais encore en Hainaut et en Vermandois. Cette dispersion est la rançon des mariages conclus à la Cour des Princes trop puissants attirant auprès d'eux la noblesse de plusieurs provinces éloignées.

Nous verrons les mésaventures qui seront pour Guy de Crécy la conséquence de cet éparpillement territorial malgré les sages précautions prises par la prévoyante Agathe de Lizac.

Geoffroy de Crécy le sixième fils fut d'Église comme Innocent. Il est jusqu'à nos jours le seul Crécy à avoir porté la crosse et la mitre en sa qualité d'Abbé régulier de l'Abbaye de St Pierre de Flavigny dont il prit possession en 1474 et qu'il devait diriger jusqu'à sa mort en 1508. Il fut enterré dans son église abbatiale où subsiste sa pierre tombale.

Nous verrons au chapitre suivant comment réagirent les six fils de Jean de Crécy (VI) lors de la déconfiture prochaine du grand Duché d'Occident. Mais il est incontestable qu'avant 1477 ils représentaient une influence considérable en Bourgogne. Ils en eurent besoin pour faire avancer leur procès contre les frères Morel fils de Louis Morel au sujet de leurs fiefs Comtois de la Résie et du Trembloy.

Le Parlement de Dole qui était la juridiction compétente était très jaloux de son particularisme provincial, il était d'autant moins enclin à faire droit aux revendications des 6 frères bourguignons que le principal adversaire de ceux-ci, Louis Morel, avait été nommé en 1450 conseiller auprès du même Parlement.

Il fallut que le bon droit de nos ancêtres fut bien évident et leurs appuis bien solides pour qu'à la suite d'une instance réengagée le 17 octobre 1466 le Parlement de Dole tranchât enfin en leur faveur par un arrêt qui n'est que du 28 Mars 1474.
Bien entendu cet arrêt fut frappé d'appel par les consorts Morel et l'affaire restera encore pendante durant plus de quarante ans. C'est qu'entre temps le "vent de l'histoire" allait tourner !

V - Les Crécy dans la tourmente - Chute du Duché indépendant de Bourgogne


En 1477, sous les murs de Nancy, Charles le Téméraire est tué. Il ne laisse qu'une fille, Marie de Bourgogne.

Invoquant les lois du Royaume de France, Louis XI en profite pour remettre la main sur le Duché et pour "placer sous sa protection" la Franche-Comté qu'il ne pouvait annexer puisqu'elle était terre d'Empire (à la différence de la Bourgogne Ducale qui provenait d'un démembrement du Royaume par constitution d'apanage au profit d'un cadet des Valois).

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Marie de Bourgogne se réfugie en Flandres, seule province qui lui reste. Pour échapper aux griffes du Roi de France, avec qui elle fut un instant fiancée, elle finira par épouser Maximilien d'Autriche (1477) et apportera ainsi à la Maison de Habsbourg non seulement la Flandre mais la Franche-Comté.

Du coup les Crécy sont dispersés. Il en fallait un pour conserver les fiefs bourguignons de la famille. Ce fut tout naturellement le rôle dévolu à l'ainé Nicolas qui dut prêter le serment requis à Louis XI en 1478.

Tous les autres eurent dès lors la possibilité de se conformer à leurs sentiments profonds et à leur devise " fortis et fidelis" en suivant dans son exil la dynastie qu'ils avaient servi dans sa splendeur.

Innocent fut envoyé par Marie de Bourgogne comme ambassadeur auprès du Saint-Siège plaider la cause de sa suzeraine. Ne survivant que de très peu à son illustre Pénitent il mourut à Rome en 1478 au cours de cette ambassade.

Jean (VII) et Guillaume suivirent Marie en Flandre au détriment de leur intérêt. En effet tous leurs biens en Bourgogne hérités tant de leurs parents que de leur frère Innocent leur furent confisqués en 1479 par lettres royales entérinées par les gens des comptes de Dijon le 10 avril 1480 en raison de leur fidélité à la fille de Charles le Téméraire. Ces biens furent dévolus à Nicolas de Crécy leur frère ainé, seul rallié à Louis XI.

On ne sait ce que fit Pierre qui était peut être mort avant 1477. Geoffroy, que sa position spirituelle plaçait au dessus des contingences terrestres, n'en marqua pas moins son hostilité au nouveau régime en incitant la ville de Flavigny à faire des difficultés aux gens du Roi venus prendre possession un peu cavalièrement de la Cité. Il en résulta une lourde amende que, loyalement, Geoffroy aida à payer en empruntant à son frère Nicolas une somme de 1.000 livres tournois.

Jean de Crécy (VII) ne devait plus rentrer en Bourgogne; grâce à sa femme Agathe de Lizac, il trouva facilement à se réinstaller en Picardie où celle-ci avait de grands biens. Il vivra à Laon où il succède en 1488 à son beau-père Jean de Lizac dans la charge de Prévôt du Laonnois. Il sera à sa mort enterré en terre Picarde laissant ses 4 fils à la garde de la plus sage des veuves.

VI - Une aïeule avisée: Agathe de Lizac -


Agathe de Lizac survivra de plus de 44 ans à son mari. Elle survivra même à l'une de ses deux belle-filles et à trois de ses quatre fils.

Le premier de ceux-ci, Jean, ne semble pas avoir été marié et était mort avant 1534.

Le quatrième, Pierre fut reçu Chevalier de St Jean de Jérusalem et mourut avant 1518.

Le deuxième Henri et le troisième Nicolas (VIII) dont nous descendons firent souche.

Henri épousa Anne de Proisy fille du Sénéchal de Vermandois ce qui le fixa en Picardie.

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Nicolas devait hériter du Trembloy et de la Résie. Aussi épousera-t-il (1524) Jeanne Mouchet de Chateaurouillaud d'une vieille et noble famille franc-comtoise
Le destin des deux branches étant dès lors fixé, Agathe de Lizac n'a plus pour but que d'assurer de son vivant un partage non seulement équitable mais judicieux de ses biens entre ses deux fils : Nicolas le franc-comtois aurait tout ce qui est situé en terre d'Empire (Hainaut Franche-Comté), Henri le Picard tout ce qui dépendait du Roi de France. C'était très sagement calculé car la rivalité naissante entre le Royaume et l'Empire promettait des jours difficiles à ceux qui se trouveraient devoir hommage et fidélité aux deux monarques ennemis. Mais ce partage n'aura de bases solides qu'autant qu'on pouvait compter sur une possession paisible et définitive de l'héritage franc-comtois. Les Crécy jouissent de cette possession depuis 1474 mais elle demeure contestée par les consorts Morel.

Depuis le traité de Senlis (1493) qui instaure une paix provisoire entre Charles VIII et la Maison d'Autriche, les communications normales sont rétablies entre la Picardie et la Franche-Comté. Agathe de Lizac et ses fils, qui résident toujours à Laon reprennent en main la gestion de la Résie et du Trembloy, mais ne s'y rendent guère en personne. Ils y ont un procurateur en la personne du Sire de Saint Moris qui y représente leurs intérêts.

Mais les absents ont toujours tort. Le 15 Juillet 1518 éclate le coup de tonnerre redouté : Louis Morel fils de l'adversaire débouté en1474 surprend un arrêt du Parlement de Dole contredisant le précédent condamnant les Crécy non seulement à restituer aux Morel la moitié des Seigneuries du Trembloy et de la Résie, mais encore à leur rendre la moitié des revenus "indûment" perçus depuis 1474.

L'émotion est vive dans le clan Crécy mais, la réaction rapide : dès le 30 septembre 1518 l'archiduchesse Marguerite d'Autriche (femme de Philippe le Beau, le fils de Marie de Bourgogne et de Maximilien) qui a la régence de la Franche-Comté ordonne, par lettres patentes datées de Malines, au Parlement de Dole de reprendre le procès.

Après 40 ans la fidélité des Crécy à la cause de Marie de Bourgogne a donc enfin porté ses fruits.

L'intervention énergique de l'autorité souveraine va désormais accélérer un peu la procédure puisqu'il ne faudra qu'un peu plus de quatre ans au Parlement de Dole pour rétablir par un nouvel arrêt du 15 décembre 1522 Henry et Nicolas de Crécy dans leurs droits.

Louis Morel fils était mort dans l'intervalle et l'arrêt est rendu à l'encontre de ses filles Françoise épouse du sieur de la Thouvière et Pernette mariée à Léonard de la Tour.

Mais rien n'est aussi acharné que des femmes. Les deux sœurs firent appel et il fallut les assigner à nouveau. Nicolas de Crécy (VIII) conseillé par sa mère jugea qu'il était plus sage de clore les choses rapidement. Jouissant désormais d'une " position de force" il consent à négocier une transaction. On décide de s'en rapporter â une assemblée d'experts réunie à Gray. Celle-ci confirme les Crécy dans leur jouissance pleine et entière des deux fiefs contestés mais accorde aux demoiselles Morel une compensation en argent de "vingt six cent francs" somme représentative de la dette contractée autrefois par Marie du Trembloy.

Ainsi, 150 ans après le mariage de Nicolas de Crécy (V) avec Jeanne du Trembloy, 80 ans après l'ouverture de la succession par la mort de Marie du Trembloy, un autre Nicolas de Crécy (VIII) arrière-petit-fils du précédent, peut enfin jouir sans arrière pensée de ses fiefs de la Résie et du Trembloy.

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C'est seulement après cette heureuse issue du vieux procès que Nicolas (VIII) destiné à s'installer en Franche-Comté y contracte mariage (1524) avec Jeanne Mouchet de Chateaurouillaud.

A la même époque (1523) Agathe de Lizac peut réaliser son vieux projet de partage de son vivant de ses biens entre ses deux fils.

En plus de la Résie et du Trembloy, Nicolas a la seigneurie de Blicquy en Hainaut qui est terre d'Empire. Henri garde tout ce qui est au Royaume de France ; Prévolé du Laonnais, Pargnan, Roussey, Sous, les cinq petits fiefs dépendant de Moy, etc.

Ce partage, éminemment sage sera malencontreusement modifié en 1529. Nicolas, probablement fort attaché à la Maison de Laon où il a passé son enfance, cède Blicquy à son frère contre le Roussey, le pré Jacquy, la vente de Sous et la moitié de la Maison de Laon.

Nicolas ne survivra pas très longtemps à ce partage. En 1532 il rend hommage à Charles-Quint qui vient de prendre possession de la Comté après la mort de sa tante Marguerite d'Autriche.

Mais dès 1534 Jeanne Mouchet sa femme est dite sa veuve.
Nicolas est donc mort vers 1533 laissant à la garde de leur mère et de leur grand mètre Agathe de Lizac ses quatre enfants : deux fils Charles et Louis et deux filles Isabeau et Guillemette.

Agathe de Lizac fit son testament en 1534 et mourut peu après. Elle fut enterrée en grande pompe à Laon auprès de son mari Jean de Crécy (VII).

Nicolas (VIII) son fils l'avait été à Champvans près de Gray, c'est le premier Crécy à reposer en terre Comtoise. Il a donc fallu deux générations de transition, celles de Jean (VII) et de Nicolas (VIII) et un crochet par Laon pour que notre famille franchisse enfin la mince limite constituée par la Saône entre la Bourgogne ducale et la Comté ! Étrange pouvoir des frontières humaines quand on songe que de Crécey au Trembloy il n'y a guère plus de 50 Kms à vol d'oiseau !

VII - Un clan franc-comtois : les Mouchet -


Nous avons vu Nicolas de Crécy (VIII) hésiter à abandonner son pied â terre de Laon. Son fils Charles (IX) n'aura pas de ces scrupules et sera un vrai franc-comtois. Il combattra les troupes françaises en Italie sous la bannière de Charles Quint. Il est vrai que par sa mère Jeanne Mouchet il se trouve d'emblée intégré dans la "gentry" comtoise de l'époque.

Les Mouchet sont cependant, semble-t-il, d'origine dauphinoise. Ils possédaient en Dauphiné au début du XIIème siècle deux châteaux, l'un près de Chavannes (ou Chavagne ?), l'autre près de Romans par lesquels Sylvain de Clérieu épouse de Guignonne Mouchet alla rendre hommage à l'empereur Frédéric (Barberousse) à Besançon lors de son passage en cette ville en 1157.

C'est aux alentours de l'an 1300 qu'une branche des Mouchet viendra s'installer définitivement à Besançon. Elle se divisera d'ailleurs très vite en deux rameaux dont l'un les Mouchet de Battafort de Laubespin subsiste encore en Belgique de nos jours, et dont l'autre les Mouchet de Chateaurouillaud s'éteindra au XVIème siècle. C'est à cette seconde branche qu'appartient Jeanne la femme de Nicolas de Crécy (VIII)

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Les Mouchet n'avaient pas de gros établissements territoriaux. Ils sont cependant de riches patriciens de Besançon. Plusieurs sont dits "banqiers". Ce métier ne dérogeait apparemment pas puisqu'ils sont en même temps d'épée, font la guerre en Bourgogne, en Orient (Nicopolis) en Italie. Ils sont co-gouverneurs de Besançon pour Charmont, c'est à dire chargés de la défense de la porte de ce nom qui commande l'entrée Nord de la ville.

Ils contractent des alliances avec les meilleures familles comtoises, les Ronchamp, les Montmartin, les Dampierre, les Scey, les Arlay, les Grammont, les Rigney, etc.

Pierre Mouchet, père de Jeanne a eu de Jeanne de Rigney 8 enfants. L'un, Antoine d'abord destiné à l'Église fut ensuite marié deux fois. Il devait épouser le 23 août 1528 Marguerite de Damas fille de Pernelle de Crécy cousine germaine de Nicolas de Crécy (VIII) de la branche des Crécy qui était restée en Bourgogne ducale.

Un autre frère de Jeanne, Louis Mouchet fut curé de Pesmes puis protonotaire apostolique. Il est enterré avec ses parents dans la très belle église de Pesmes où l'on voit encore son marbre funéraire.

Guillemette et Étiennette Mouchet furent mariées respectivement à Guy de Malain (d'une famille du Duché ) seigneur de Mantoche et à Philibert Deschamps.

Antoine et Louis Mouchet, Guy de Malain et Philibert Deschamps furent les tuteurs des enfants de Nicolas de Crécy et de Jeanne Mouchet après la mort de ceux-ci en 1534 et 1545.

Enfin un autre frère de Jeanne, Guyon Mouchet était devenu par son mariage avec Etiennette Perrenot le gendre du tout puissant ministre de Charles Quint, Nicolas Perrenot de Grandvelle et le beau frère du cardinal de Granvelle fils et successeur du précédent dans sa charge ministérielle.

Cela valut, bien entendu, charges et honneurs non seulement à Guyon Mouchet, mais à toute sa parenté. Les Mouchet avaient une maison à Pesmes où ils résidaient alors et le Cardinal de Granvelle pour se rapprocher de sa sœur Etiennette y fit également construire une magnifique demeure que l'on montre encore à Pesmes.

Une fille de Guyon Mouchet et d'Etiennette Perrenot devait épouser Glaude de Balay et devenir l'arrière grand mère d'Henriette de Balay femme de Guillaume de Crécy (XIV). Nous descendons donc deux fois des Mouchet et, par les Balay, du fameux ministre de Charles Quint. Il est vrai que c'est là un avantage assez courant dans la noblesse franc-comtoise puisque Nicolas Perrenot de Grandvelle eut 11 enfants dont 6 filles qu'il maria dans les familles nobles du pays.

Mais revenons-en aux enfants de Nicolas de Crécy (VIlI) et de Jeanne Mouchet. Ils sont tous 4 (Charles, Louis, Isabeau et Guillemette) très jeunes à la mort de leur père (1534) et sont encore loin de leur majorité quand disparait à son tour leur mère (1545). Ils ont pour tuteurs leur oncle paternel Henri de Crécy et quatre oncles maternels (Louis et Antoine Mouchet, Guy de Malain, Philibert Deschamps). Henri de Crécy est évidemment bien loin pour intervenir dans leur éducation. C'est à dire qu'ils sont entièrement sous la coupe du "clan" Mouchet qui en firent de parfaits franc-comtois.

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Nous pourrions arrêter là cette histoire puisque notre fil directeur, le Trembloy, est enfin entièrement en possession des Crécy.

Mais hélas, Charles de Crécy (X) représente la seule génération de Crécy qui, de sa naissance à sa mort, jouira paisiblement de ce fief puisque son fils Guy de Crécy (X) verra la fin de sa vie assombrie par l'obligation de s'en défaire. Il nous faut donc poursuivre notre récit et d'abord évoquer la brève vie (1528-1563) de Charles de Crécy (IX).


VIII - Un gentilhomme franc-comtois sous Charles Quint : Charles de Crécy (IX)


La vie de Charles de Crécy (IX) correspond â l'âge d'or franc-comtois. Sagement gouvernée depuis 1490 par Marguerite d'Autriche la province se trouve depuis 1534 sous l'autorité directe, mais lointaine, de Charles Quint. Ce dernier appréciait la solidité de ses Comtois et aimait à s'en entourer. La faveur dont ont joui des ministres comme les Grandvelle père et fils contribua à attirer sur leur petite patrie les bienfaits du souverain.

Le Parlement de Dole s'était assuré une quasi indépendance même sur le plan politique et des conventions spéciales passées avec la France assuraient la Franche-Comté d'un statut de neutralité dans les guerres entre le Royaume et l'Empire. Elle n'avait donc pas à craindre les ravages des troupes en campagne et n'eut à subir que des pressions économiques. Mais elle produisait assez de blé pour sa consommation et détenait en abondance un bien précieux entre tous : le sel.

Enfin la ferme autorité Autrichienne puis Espagnole maintient le Comté (sauf la petite principauté de Montbéliard qui n'en faisait pas juridiquement partie) dans la stricte obédience romaine en matière religieuse. De sorte que la Franche Comté eut le bonheur d'échapper aux sanglantes guerres de religion qui assombrirent la deuxième moitié du siècle en France.

Mais la neutralité territorial de la Comté n'empêchait pas sa noblesse de servir fidèlement l'Empereur et, comme il n'y a pas de guerre sur place, on va la faire au loin, le plus souvent en Italie. C'est ainsi que les seigneurs franc-comtois, comme leurs cousins français mais dans le camp opposé, découvrirent les merveilles de la Renaissance italienne et en firent pénétrer les influences chez eux. Ils apprécièrent les bienfaits de la culture et enverront en Milanais non seulement des guerriers mais encore des étudiants.

Que fut, dans ce contexte, l'enfance des enfants de Nicolas de Crécy (VIII) livrés à la tutelle des Mouchet ?

Nous n'en savons presque rien. Seul nous est parvenu un document comptable sur les dépenses engagées au moment du mariage d'Isabeau de Crécy avec Etienne de Vingles le 16 septembre 1547.

Il s'agissait d'un mariage français, les Vingles étaient seigneurs de Cumigny en Bourgogne ducale.

Le sieur de Cumigny, père du marié, descend à Pesmes à l'hôtel de Chateaurouillaud résidence de Pierre Mouchet grand père de la future. On lui compta 300 francs ("don gracieux", "frais de déplacement" ou avance sur la dot ?) en présence de témoins qui sont "M. le Protonotaire, M. l'Ambassadeur fils du Seigneur de Chateaurouillaud et les seigneurs français témoins de M. de Cumigny". Le Protonotaire était Louis Mouchet, l'Ambassadeur est probablement Antoine Mouchet bien qu'on ne sache de quelle ambassade il fut chargé, Guyon Mouchet sera bien ambassadeur extraordinaire en France, mais bien plus tard (1562).

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On donne également 2 écus d'or à Charles de Crécy alors âgé de 18 ans venu le même jour avec M. de Chantonnay son maitre. Charles était donc page chez quelque noble personnage et son grand-père lui donne 2 écus (sur les revenus du Trembloy) pour "faire le jeune homme". Mais quel est donc ce M. de Chantonnay ? Il n'existe plus depuis longtemps à cette époque de famille de ce nom, mais la terre de Chantonnay est, pour lors, le fief de Thomas Perrenot de Grandvelle fils du Ministre et beau-frère de Guyon Mouchet. L'oncle Guyon a donc casé son neveu chez le beau-frère de Grandvelle ce qui ne saurait être un mauvais calcul pour la carrière de Charles.

Thomas Perrenot devait d'ailleurs être un maitre compréhensif car il était à peine plus âgé que son page (né en 1521 il avait tout au plus 7 à 8 ans de plus que Charles de Crécy).

Après la signature du contrat de mariage, tout le monde, sauf le grand-père Pierre Mouchet, monte à cheval pour conduire Isabeau chez son mari. Il y a 15 chevaux loués pour 34 francs. Prennent part à cette chevauchée "M. le Protonotaire (Louis Mouchet), M. l'Ambassadeur (Antoine Mouchet), M. le Pardessus (il s'agit de Guyon Mouchet lieutenant de son beau-père dans la charge lucrative de pardessus -c'est à dire gestionnaire - des sauneries de Salins), M. de Mantoche (Guy de Malain) et leurs épouses ainsi que Charles de Crécy (IX)".

L'épisode suivant que nous connaissons de la vie de Charles de Crécy appartient déjà à sa vie d'adulte : en 1550 Charles (21 ans) et Louis de Crécy probablement d'un ou deux ans plus jeune partant pour l'Italie. Charles va guerroyer car il est "sorti de page" et prend du service pour son compte. Mais Louis plus jeune y va comme étudiant à l'Université de Milan dont les Grandvelle père et fils eurent le patronage.

Louis semble avoir été l'intellectuel de la famille. Dès 1444 nous le voyons en pension chez Maitre Jean Jay de Dole "correcteur des Écoles" qui touche sur les revenus de la Résie 10 écus d'or pour une demi-année de pension. Louis était probablement destiné à l'Église.

Admirons, en tout cas, la touchante disposition testamentaire des deux frères qui avant de partir, songent, malgré leur jeunesse, à rédiger un testament où ils "se font réciproquement donation de leurs biens au dernier survivant pour l'augmentation des noms et armes de leur Maison".

Charles guerroya non seulement en Italie mais en Allemagne où il était en 1551. Nous ne savons en quelle année il rentra en Comté. Louis, hélas, n'y reviendra pas. Peut être la vocation des armes avait-elle été plus forte chez lui que celle des études, toujours est-il que dans un mémoire daté de 1560 Charles rappelle que son frère Louis fut tué en Italie "par fortune de guerre".

En 1557 Charles est à nouveau en Comté ou il est temps qu'il s'occupe un peu de ses intérêts matériels. Les oncles Louis Mouchet et Guy de Malain ont tant bien que mal essayé, en son absence, d'y veiller mais rien ne va plus à Laon où la Seigneurie du Houssey lui avait été confisquée par défaut d'allégeance et parce qu'il est au service du Roi d'Espagne. Elle lui avait été restituée à la signature de la paix (1555). Mais on continue à lui faire les pires difficultés parce qu'il ne vient pas en personne rendre hommage pour ce fief entre les mains des officiers royaux. On admet avec peine qu'il délègue ses cousins François, Antoine ou Hubert de Crécy (de la branche picarde fondée par Henri de Crécy) pour le faire à sa place.
Les revenus du Houssey passaient, pour le plus clair, à rétribuer les bons offices familiaux. Ceux de la Résie et du Trembloy suffiraient à peine aux dépenses entraînées par la guerre en Italie et par la dot qu'il faut verser à Etienne de Vingles pour sa femme Isabelle de Crécy.

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Aussi en 1559 Charles emprunte-t-il 300 écus d'or à Nicole Bonvalot veuve du Ministre Nicolas Perrenot de Grandvelle belle-mère de l'oncle Guyon Mouchet. Ce prêt fut remboursé au Cardinal de Grandvelle sur les revenus du Trembloy, pendant la minorité de Guy de Crécy.

Ce n'est qu'en 1560 que nous voyons Charles marié. Il épouse Françoise de Bernant (ou Bernault) d'une famille dont nous ne savons presque rien. Françoise avait des frères Louis et Anatole seigneurs d'Amanges et Adrien qualifié de "Révérend Frère" . Son père Philippe de Bernant était également seigneur d'Amanges et de Sermanges. Il avait aussi des fiefs à Thervey dépendant du château de Balançon en face de Pesmes sur l'autre rive de l'Ognon. Amanges et Sermanges étant des villages au Nord Est de Dole il semble bien que les Bernant aient été une famille comtoises. Cependant la mère de Françoise de Bernant était Jeanne de Marey dame de Quily, Artex et Tressoles noms et fiefs plutôt bourguignons. Les Marey étaient probablement de la même famille que celle qui avait déjà donné une femme, Pernette à Philippe de Crécy, l'un des fils de Nicolas (V) au début du XV° siècle (voir chapitre II). Françoise de Bernant était donc comme son mari d'origine mi comtoise mi bourguignonne.

Charles de Crécy (IX) et Françoise de Bernant ne restèrent pas longtemps mariés. Dès 1561, à peine âgé de 32 ans, Charles, fatigué par ses campagnes se dit déjà "débile et privé de l'ouïe". En conséquence il fait son testament (6 décembre 1561) "en sa Maison forte du Trembloy en une chambre dite la chambre rouge regardant sur le moulin du Trembloy". Les dispositions testamentaires sont simples à prendre : Charles n'a qu'un fils unique, Guy qui doit avoir au plus un an.

Il n'avait pas tort de se montrer pressé puisqu'il devait mourir 18 mois après, âgé d'à peine 34 ans, le 29 mai 1563.

Tout au long de sa brève vie, Charles de Crécy avait joui paisiblement du Trembloy puisqu'il y naquit et y mourut (le procès Morel étant clos peu avant sa naissance [1528]).

Nous verrons qu'il sera le seul !

IX - Une enfance malheureuse : Guy de Crécy (X) -

Fils unique et orphelin à trois ans, Guy de Crécy (X) connaitra comme son père une longue tutelle. Un arrêt du Parlement de Dole en date du 27 Juillet 1563 le met "sous la garde et gouvernement" d'un aréopage d'oncles et de grands oncles parmi lesquels domine, comme pour son père, le clan Mouchet. Le tuteur est Guy de Malain (époux da Guillemette Mouchet) entouré de Louis Mouchet le pronotaire apostolique curé de Pesmes, d'Antoine Mouchet de Guyon Mouchet, de Philibert Deschamps (époux d'Etiennette Mouchet) ses grands oncles. Y figurent aussi Etienne de Vingle époux de sa tante Isabelle de Crécy et Claude d'Oiselet qui n'était qu'un cousin issu de germain de Charles de Crécy par son mariage avec Huguette de Damas fille d'Alexandra de Damas et de Pernette de Crécy une fille de Nicolas de Crécy le frère ainé de Jean (VII) qui était resté en Bourgogne après avoir prêté serment à Louis XI (voir chapitre V).

Françoise de Bernant fait naturellement aussi partie du conseil de tutelle de son fils mais elle ne peut y prendre une part bien active, ayant partiellement renoncé à son douaire et à son droit de regard sur les biens des Crécy par son remariage avec George de la Baume qui est antérieur au 30 juillet 1564. (moins de 14 mois après son veuvage).

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Plus ou moins abandonné moralement par sa mère qui a "refait sa vie" Guy vit au milieu des grands-oncles Mouchet. Ce ne fut certainement pas une enfance heureuse. Nos modernes psychologues parleraient de traumatisme et de complexe d'abandon provoqué par un sevrage prématuré de toute affection féminine. Peut être expliqueraient-ils par là ses nombreuses maladie d'enfants. Guy qui sera un adulte vigoureux et vivra 60 ans (âge avancé pour l'époque) malgré des campagnes incessantes d'une vie toute consacrée aux armes, se montre en effet un enfant délicat.

A 7 ans il eut une "grave maladie" alors qu'il était en pension chez le chanoine Billerez à Salins en 1567. Il fut encore malade chez le même en 1571. Puis de nouveau la même année chez M. de Chateaurouillaud (son grand oncle Antoine Mouchet). Entre temps, il avait été en 1569 (il avait 9 ans) "étudiant" à Dole lorsqu'il du arguer de son âge, de son éloignement et de son ignorance pour faire lever la confiscation à nouveau prononcée en Vermandois de sa terre du Houssey pour en avoir négligé la déclaration au ban et à l'arrière ban !

En 1573 le grand oncle Antoine Mouchet meurt en lui léguant 30 écus d'or "pour s'acheter un cheval quand il sera en âge".

A cette époque les Mouchet continuent de gérer pour Guy, comme ils l'avaient fait pour Charles son père, les terres de la Résie et du Trembloy. Quant à Houssay ils s'en remettent à Antoine de Crécy Seigneur de Sous à qui cette terre est confiée à bail.

En 1577 toujours par l'intermédiaire d' Antoine de Crécy, Guy cotise pour les frais d'envoi d'un député de la noblesse aux États-Généraux de Blois. Ce franc-comtois qui n'a encore jamais quitté sa province est mêlé, par sa seigneurie lointaine en Vermandois, à la politique troublée du Royaume de France.

Il devient urgent cependant d'approfondir un peu les comptes de ce bon cousin Antoine de Crécy, qui, fort de l'éloignement et de la jeunesse de Guy, semble en prendre un peu à son aise avec la gestion du Houssey.

Dès 1577, ne pouvant encore, vu son âge (17 ans), agir valablement par lui même, Guy de Crécy envoie à Laon un "plénipotentiaire".

Mais ça n'est plus dans le clan Mouchet qu'il le choisit. C'est son beau-père, Georges de la Baume, le second mari de sa mère qu'il charge de cette mission de confiance. La tutelle Mouchet devient-elle trop lourde â ses 17 ans ? II semble que Guy de Crécy ait esquissé à cette époque un rapprochement très net avec sa mère.
Celle-ci est alors "affiliés" par son second mariage à un autre clan aussi nombreux et influent que celui des Mouchet, le clan Beaujeu dans lequel elle ne va pas tarder à le faire rentrer.

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X - Le clan Beaujeu et le mariage de Guy de Crécy (X) -

Au mariage en 1564 de Françoise de Bernant veuve de Charles de Crécy (IX) avec Georges de la Baume, nous voyons apparaître comme témoin Claude de Beaujeu. Le Docteur Bertin qui a fait "l'Histoire de la Maison de Beaujeu-sur-Saône" affirme que Georges de la Baume avait épousé en première noces Cornille Carondelet dont il aurait eu, entre autres, Geneviève de la Baume mariée à Claude de Beaujeu. Ce dernier aurait donc été le témoin du second mariage de son beau-père. Mais la même année 1564 Claude de Beaujeu et Geneviève de la Baume viennent de marier les trois premières filles de leurs 9 enfants. Il faudrait donc admettre, pour suivre le Docteur Bertin que le "jeune" marié, Georges de la Baume était, au moment où il épousait la veuve d'un homme de 34 ans, sur le point d'être 3 fois grand-père. Cela parait bien invraisemblable. D'autre part, le beau-père de Claude de Beaujeu était fils d'une demoiselle de Chaussin d'après les sources du Docteur Bertin, tandis que, d'après les archives de notre famille le second mari de Françoise de Bernant était fils d'une demoiselle de la Rochette.

Tout porte à croire qu'il y a eu confusion à la suite d'une homonymie, Georges de la Baume fils de Mademoiselle de Chaussin et mari de Cornille Carondelet était père, d'une part de Geneviève de la Baume femme de Claude de Beaujeu, et d'autre part de Claude de la Baume. Claude de la Baume aurait épousé successivement Jeanne de la Rochette et Claudine de Pardessus. Il aurait eu de sa première femme un autre Georges de la Baume qui aurait été le second mari de Françoise de Bernant.

Celle-ci serait donc devenue par son mariage la cousine germaine des neuf enfants de Claude de Beaujeu.

Rien d'étonnant dès lors à ce qu'elle ait choisi l'une de ses jeunes cousines l'avant dernier enfant de Claude de Beaujeu, Suzanne de Beaujeu pour épouse de son fils Guy de Crécy.

Le mariage fut célébré le 30 septembre 1579. Guy de Crécy (X) n'a que 19 ans et sa femme doit être plus jeune encore.

La famille dans laquelle entre Guy de Crécy est fort ancienne. Il s'agit de la branche cadette de la Maison de Beaujeu ou branche de Volon qui n'en remonte pas moins sa filiation jusqu'en 1083 du vivant de Ponce de Beaujeu.

Elle eut des alliances avec des la Résie ancêtres ou cousins des Trembloy.

Elle acquit la seigneurie de Montot par le mariage de Pierre de Beaujeu en 1436 avec Jeanne de Montot, arrière petite fille d'Eudes de Montot, qui avait épousé une fille de Barthélémy de Crécy fils de Jean, le frère d'Eudes de Crécy (II). Les Beaujeu descendent donc de la branche ainée des Crécy.

Un autre Pierre de Beaujeu petit fils du précédent avait déjà noué une alliance avec les Mouchet en épousant Françoise Mouchet cousine issue de germain de Jeanne Mouchet femme de Nicolas de Crécy (VIII).

Mais c'est un frère de ce second Pierre de Beaujeu, Guillaume, marié à Louise de Scey qui fut le père de Claude de Beaujeu dont Guy de Crécy épousa la fille Suzanne.

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L'alliance Scey que nous venons d'évoquer était des plus honorables puisque cette famille qui subsiste de nos jours était dès le XI° siècle une des plus importante de Franche Comté et remonte à Attille vivant en 991. Elle avait eu une éclipse passagère au XII° et XIII° siècle pour avoir osé s'attaquer aux tout-puissants seigneurs de Vienne.
Les enfants de Claude de Beaujeu et de Geneviève de la Baume furent :

    • Marc qui épousa Louise de Vaivre, puis en seconde noces Marguerite Perrenot de Grandvelle encore une fille du Ministre de Charles Quint 1
    • Pierre fut chevalier de Malte
    • Henri religieux à Lure.
    • Les six filles furent mariées dans les maisons de Vy, de Reinach, de Franquemont, de Champagne 2, de Pardessus 3 et l'avant dernière Suzanne épousa Guy de Crécy (X).

Les Beaujeu furent soldats et terriens. Ils ne perdirent jamais le sens de leurs intérêts et se montrèrent d'excellents rassembleurs de terres, pratiquant une avisée politique des mariages, sachant abandonner des fiefs trop lointains pour concentrer leurs établissements et consolider leur puissance.

Suzanne de Beaujeu et Guy de Crécy vont bientôt avoir besoin de l'aide et de l'influence de cette nombreuse et puissante famille pour affronter les difficultés financières qu'un coup du sort imprévu vaudra à leur jeune ménage.


1 Le fameux Ministre semble avoir manqué d'imagination pour trouver des prénoms à ses six filles : trois d'entre elles furent appelées Marguerite. La première épousa successivement Léonard de Grammont et Jean d'Achey, la seconde Antoine de Laubespin et Ferdinand de Lannoy, la troisième Marc de Beaujeu. Un vrai cauchemar pour les généalogistes.
2 Louise de Beaujeu sœur de Suzanne donna à Philippe de Champagne une fille Adrienne qui épousa Hugues de Bernard d'Authumes dont Guillemette mariée à Léonard de Laborey. Une petite fille de Guillemette et de Léonard de Laborey devait épouser Gérard de Crécy (XIII) de sorte que nous descendons deux fois des Beaujeu par Louise et Suzanne.
3 Claude-Emmanuel de Crécy (XII) petit fils de Guy épousera en secondes noces (dont-nous ne descendons pas) Anne-Claude de Pardessus sa cousine issue de germaine petite fille de Jeanne de Beaujeu sœur de Suzanne.
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XI - Une expédition malheureuse en Picardie et ses conséquences

Émancipé par son mariage, riche de ses seigneuries du Trembloy et de la Résie et de son lointain Houssey, créditeur de la dot importante de 4.000 livres que lui doivent les Beaujeu pour sa femme Suzanne, Guy de Crécy (X) peut enfin voir la vie sous un angle optimiste.

Mais à 19 ans, il n'a pas fini son éducation militaire et c'est encore comme page que nous le voyons en 1580 suivre en Flandres la bannière du baron de Clervaux qui guerroie au service d'Espagne.

La même année 1580 il envoie de nouveau son beau-père Georges de la Baume renouveler en sa maison rouge de Laon la cession à bail du Houssey à son cousin Antoine de Crécy seigneur de Sous.

Mais, "sorti de page" en 1581 ou 1582, Guy de Crécy brule du désir d'aller lui-même visiter cette terre picarde qui lui appartient. D'ailleurs il est majeur et les règles féodales l'obligent à aller en personne accomplir son devoir de vassal entre les mains des officiers royaux.

Venant d'une province où la tutelle ferme mais lointaine des Rois Espagnols faisait régner depuis longtemps la paix notamment en matière religieuse, Guy de Crécy était trop inexpérimenté pour soupçonner le degré d'anarchie où était alors tombé le malheureux royaume de France déchiré par les guerres de religion.

C'est donc sans arrière-pensée que Guy entreprendra le 24 août 1582 le voyage de Picardie. L'aventure sur laquelle les pièces de procédure qui en résulteront nous renseignent assez bien vaut d'être contée avec quelques détails :

Pour voyager, Guy est vêtu "d'un accoutrement de velours gris passementé d'une large tresse d'argent, d'un pourpoint de satin vert doublé de taffetas incarnat, d'une paire de chausses de velours jaune, d'un manteau écarlate doublé de taffetas gris passementé d'une tresse d'argent". Il porte "une valise de drap bleu" le tout confectionné pour l'occasion par Guillaume de Billay tailleur d'habits à Gray.

Il est accompagné de Maitre Glaude Ligier prêtre, son chapelain, de Jean Viennot son notaire, de Maitre Jean Morel huissier, et de Pierre Glanet son serviteur "tous bien montés avec équipages comme il convient à un gentilhomme de sa sorte" La petite escorte est vêtue d' "accoutrements de velours et satin passementés d'or" et la bourse du Seigneur de Crécy contient 600 écus d'or.

La petite troupe passe par Faucogney, Remiremont, Epinal et Bar-le-Duc, revient en Champagne par Reims et, le 4 septembre au matin, se présente devant I'Aisne pour franchir le fleuve au Bac-en-Berry. Ils ne sont donc plus qu'à 30 kms de Laon où est la "maison rouge" de Guy de Crécy lorsqu'une troupe d'hommes d'armes dirigée par un lieutenant du Capitaine Malmedy fond sur eux. Bien entendu toute résistance est inutile. On les emmène à deux lieux de là où ils sont dépouillés de leurs cinq chevaux que l'on remplace par de "méchants chevalins", de leurs armes, de leurs hardes et bagages et de leur bourse ! On les emmène "par les champs et hors des grands chemins" à Vervins où ils couchent et de là à Cambrai où tient garnison le capitaine Malmedy pour le compte du gouverneur de la ville le sieur de Balagny-Montluc !

Acte de brigandage caractérisé inconcevable dans la paisible Franche-Comté, mais trop courant, hélas, à cette triste époque au Royaume de France.

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Malgré la neutralité franc-comtoise et la trêve qui règne officiellement entre la France et l'Espagne on a le front de considérer Guy de Crécy et ses compagnons comme des prisonniers de guerre !

C'est en vain que, comme l'agneau de la fable Guy de Crécy proteste qu'il n'a pu, comme on l'en accuse, avoir jamais porté les armes contre la France puisqu'il est "à peine sorti de page".

Le sieur de Balagny après les avoir tous interrogés séparément ne les en enferme pas moins comme prisonniers à la tour du chapitre à Cambrai !

"D'un jour à l'autre, le geôlier", un certain capitaine Allemand sous les ordres du sieur de Montluc vient dire au seigneur de Crécy "en jurant que s'il ne se mettait à rançon, il le ferait mourir ainsi que ses gens".

Après 7 mois de détention on transfère Guy de Crécy en une prison plus cruelle encore, la tour des Gallons où il restera un mois avant d'être libéré, lorsqu'il aura payé rançon.

Le 22 novembre précédent on avait cependant relâché Jean Viennot pour s'en retourner en Bourgogne chercher argent pour la rançon.

Mais dès le 12 novembre la nouvelle de la capture de Guy de Crécy était connue au Trembloy où Suzanne de Beaujeu sa femme profite du passage de Monsieur de Vergy gouverneur de la Comté pour porter plainte. Le gouverneur écrit aussitôt à son collègue du Duché pour qu'il intervienne auprès du Roi de France.

Dès le 28 novembre les plaintes de Suzanne de Beaujeu et de Guy de Crécy commencent à porter leur effet : François duc d'Anjou, frère du roi Henri III intervient auprès du sire de Montluc à propos de cet acte de piraterie et lui dit "qu'il en a eu une si grande plainte de son frère le Roi qu'il lui ordonne de le relâcher sans qu'il en entende plaindre davantage, voulant que ceux qui seraient assez hardis pour faire tels prisonniers soient punis de mort".

Paroles énergiques, mais qui, aussi incroyable que la chose puisse paraitre n'émurent pas le moins du monde le gouverneur de Cambrai.

Les interventions en haut lieu n'ayant apparemment pas eu d'effets immédiats, Guy de Crécy ne se fait pas faute de faire agir des influences locales par ses cousins picards. De nombreux messagers à qui il faut promettre des pourboires importants font des allées et venues auprès de MM. de Blicquy (Antoine de Crécy) de Sous (François de Crécy oncle à la mode de Bretagne du précédent) et de Routy (Adrien de la Fous époux de Marie de Crécy sœur d'Antoine). M. de Routy présente même une requête au Roy à ce sujet lors du passage du Souverain à MarIé.

Mais tout cela reste inopérant, d'autant que l'on peut douter de l'ardeur que montrèrent les cousins picards dans leurs intervention. Ils eurent vite en effet flairé la bonne affaire : l'occasion était bonne d'acquérir à vil prix cette seigneurie du Houssey cause des malheurs de Guy de Crécy, lequel aurait le plus pressant besoin d'argent frais tant que le sieur de Montluc persistera à exiger une rançon ! L' affaire fut vite conclue en faveur de François de Crécy seigneur de Sous qui devient à bon compte seigneur du Houssay ! Les affaires ne perdent jamais leurs droits !

Pot-de-vin, pourboires, frais de toutes sortes, pertes subies, sont évalués dans les différentes requêtes présentées par la suite par Guy de Crécy à plus de 4.300 écus d'or alors que la rançon nominale ne se montait qu'à 1.000 écus.

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Le Houssay ne suffisant pas, il fallut engager les fiefs du Trembloy et de la Résie. En fait, Guy de Crécy restera endetté toute sa vie à la suite de cette affaire et le décret (vente judiciaire) qui sera mis 35 ans plus tard (en 1618) sur ses fiefs comtois sera pour lui une conséquence lointaine mais directe de l'aventure picarde de ses 22 ans !

Suzanne de Beaujeu en Comté multiplie les ventes et les emprunts, faisant jouer parenté, amis et connaissances. Elle fit si bien que le 17 avril 1583, Guy de Crécy peut enfin verser les 1.000 écus exigés entre les mains de Grégoire de Rocafort cornette de la Compagnie de chevau-légers de M. de Balagny.

Guy est donc libéré le 20 avril 1583 avec ses compagnons, honteux et furieux. Bien sur il mettra tout en œuvre pour obtenir réparation. Le 12 novembre 1583 un arrêt de la Cour des Grands Jours de Troyes prescrit une information sur les faits.

Le 21 décembre 1583 Guillaume Juannet sergent royal au baillage de Sens est chargé de l'enquête prescrite par les Grands Jours de Troyes. Mais on ne sait pas la suite de cette information qui n'aboutit en tout cas jamais à la moindre réparation en faveur de notre ancêtre.

Une nouvelle requête au Roi de France n'eut pas plus de succès. On y lit seulement que dès le 26 janvier 1583, trois mois avant la libération de Guy de Crécy, le capitaine Malmedy avait déjà expié ses forfaits puisqu'il avait été par sentences du bailli de Laon "exécuté à mort pour ses voleries". Mais le Gouverneur de Cambrai dont Malmedy n'était que le pourvoyeur et qui avait exigé rançon pour son propre bénéfice ne semble pas avoir été inquiété ! Seul le lampiste avait payé ! : "Selon que vous serez puissant ou misérable !..."

On ne sait rien de plus de cette affaire à la suite de laquelle Guy de Crécy complément ruiné, mènera la vie d'un soldat franc-comtois, comme l'avait fait son père Charles et comme le feront son fils Claude et son petit fils Claude-Emmanuel.

Nous n'avons aucun détail sur ces campagnes. Notons en 1588 qu'au cours d'un déplacement à Arc-sur-Tille, il a pour compagnon d'armes Jacques de Forcrand de Coiselay. Jacques de Forcrand blessé, est soigné et hébergé par un chirurgien et un hôtelier d'Arc-sur-Tille qu'il ne peut payer ! Guy de Crécy se portera caution pour lui le 1er aout 1588. Première rencontre de deux familles qui, 300 ans plus tard et après neuf générations seront alliées !

En 1589 Guy de Crécy touche le reliquat de la dot de sa femme. La somme est insuffisante pour se dégager des hypothèques qui grèvent le Trembloy et la Résie. Aussi Guy de Crécy préfère-t-il employer cet argent à acquérir une autre seigneurie libre de toute charge, celle de Chaumercenne qui appartenait à la Baume et sur laquelle Suzanne de Beaujeu par sa mère Geneviève de la Baume possédait déjà quelques droits.

Mais avant d'en finir avec le récit des difficultés financières de Guy de Crécy, nous nous arrêterons un moment sur un épisode de sa vie militaire sur laquelle l'histoire de la ville de Pesmes nous renseigne et qui montrera une fois de plus que Guy de Crécy n'était pas né sous une étoile heureuse !

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XII - Le siège de Pesmes par Henri IV. Comment Guy de Crécy fut frustré d'une bataille

Vers la fin du XVI° siècle l'âge d'or franc-comtois s'achève. Les désordres français prennent fin avec l'abjuration d'Henri IV et son entrée solennelle à Paris en 1594. Le puissant voisin commence à convoiter cette province espagnole excentrique qui parle français et vit à la française. Plus question de respecter les clauses de neutralité comtoise. La résistance du patriotisme franc-comtois retardera encore de près d'un siècle l'issue inéluctable mais ce sera au prix de guerres incessantes dont la première fut entreprise par Henri IV.

En 1594 le Duc de Mayenne chef de ligueur, chassé du Royaume trouve un refuge naturel dans la catholique Franche-Comté.

Les Lorrains, alliés d'Henri IV sous le commandement de Noblecourt poursuivent les ligueurs en Comté, ravagent le pays, prennent Marnay, Salins, Rochefort.

Ils en sont chassés par une armée espagnole commandée par Juan Velasco Connétable de Castille. Mais le Connétable espagnol, non content d'avoir chassé les Lorrains, franchit la frontière pour pénétrer au Duché de Bourgogne où il se fait mettre complètement en déroute 5 juin 1595 par Henri IV à Fontaine-Française.

La réaction du nouveau roi de France fut rapide. Il pénétra à son tour en Comté et, après avoir tenté sans succès les défenses de Salins, il vient mettre le siège devant Pesmes le 19 juillet 1595.

Depuis un an la guerre faisait donc rage en Comté avec des fortunes variables, les places fortes avaient été pourvues de garnisons de vivres et d'armes.

Pesmes comprenait du point de vue militaire deux garnisons, celle du château qui occupe une situation dominante au-dessus de la falaise surplombant l'Ognon et celle de la ville. Le château est inclut dans l'enceinte de la ville mais a un accès direct sur l'extérieur de sorte qu'il peut servir de refuge aux habitants de Pesmes si ceux-ci sont submergés mais que, par contre, si le château tombe aux mains de l'ennemi aucune résistance n'est possible dans la ville.

Or, au cours de l'hiver 1594-1595 la Compagnie de lansquenet qui occupe la ville est précisément commandée par Guy de Crécy. Ce sont les habitants de Pesmes qui doivent subvenir aux besoins de la garnison. Les comptes de la communauté de Pesmes montrent que la dite compagnie, de mars à juillet 1595 a couté 2.421 Francs en espèces et, en nature, 32.281 livres de pain, 1 queue et 3.414 pintes de vin (1 pinte valait un peu plus d'un litre), 638 1/2 livres de chair de bœuf et ...12 harengs !

Les gens de Pesmes avaient bon moral et semblent s'être bien entendus avec Guy de Crécy qui était d'ailleurs un seigneur connu dans la région puisque Chaumercenne dépendait administrativement de Pesmes ainsi que la Résie.

La garnison était bien pourvue de 10.000 livres de poudre, 5 ou 6 pièces d'artillerie, 1.500 balles (boulets) de canon et divers engins de guerre.

Enfin les esprits étaient exaltés par la belle et récente résistance de Salins et l'on comptait que Pesmes ferait aussi bien.

Malheureusement le moral n'était pas aussi bon au château. La garnison de l'ouvrage était aux mains d'un certain capitaine Pierre qui avait eu récemment des démêlés avec les bourgeois de la ville et avec Guy de Crécy.

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Le Seigneur de Pesmes qui commandait au Château durant l'hiver 1594-1595 avait été Antoine de la Baume 1 comte de Montrevel et marquis de Montmartin. Il avait montré une certaine vigueur contre les français au cours de la campagne de 1594 mais il venait de mourir d'une "peste pernicieuse" le 4 juin 1595.
Il laissait deux enfants en bas âge sous la tutelle de Prosper de la Baume son frère, Abbé de Cherlieu.

Antoine et Prosper de la Baume étaient fils de Françoise la Baume (leur père avait épousé une de ses cousines) qui veuve une première fois avait épousé le Marquis de Carnavalet et, veuve à nouveau, vivait à Dijon dans l'entourage de Gabrielle d'Estrée la maitresse d'Henri IV.

Cette dernière circonstance devait entrainer la méfiance des gens de Pesmes envers la famille de ses seigneurs trop puissants et trop mêlés à l'aristocratie internationale de l'époque pour épouser ardemment le patriotisme provincial des Comtois. Les la Baume avaient des ascendances et des intérêts non seulement en Comté mais encore en France et en Savoie.

Déjà à la mort d'Antoine de la Baume le capitaine Pierre s'était opposé à ce qu'on mit les scellés sur le château comme il se devait avant que le conseil de tutelle des mineurs fut nommé.

Le Comté de Champlitte, Claude de Vergy, gouverneur militaire de Franche-Comté eut beaucoup de peine à régler personnellement ce conflit ou le capitaine Pierre s'opposa vivement aux bourgeois de Pesmes et à Guy de Crécy.

Si bien que le 19 juillet lorsqu'Henri IV vint en personne installer son camp sous les murs de Pesmes, la discorde à peine éteinte entre la ville et le château avait mis dans la tête et sur les lèvres des bourgeois de Pesmes toutes sortes de soupçons et de murmures contre les châtelains. Ces soupçons devaient, hélas, trouver une confirmation éclatante : le 20 juillet au matin, à la première sommation, et à la stupeur générale les portes du château s'ouvrirent aux Français.

La reddition signée par M. de Cherlieu, Prosper de la Baume englobait la ville à laquelle d'ailleurs l'occupation du château rendait toute résistance impossible. Elle stipulait que le lendemain à 4 heure de l'après-midi M. de la Baume et toute la garnison pourraient sortir, enseignes déployées, tambours battants, et mèches allumées avec armes et bagages ; les habitants qui voudraient rester à Pesmes pourraient y demeurer en toute sureté en prêtant serment de fidélité au Roi de France, l'artillerie et les munitions de guerre qui étaient au château resteraient intactes, "sans rien rompre à dessein".

La rage au cœur Guy de Crécy dut donc sortir à la tête de ses troupes sans avoir combattu. Il n'est guère d'épreuve plus dure pour un soldat.

La douleur fut d'autant plus vive que les Français ne tinrent pas parole. Sous les yeux d'Henri IV qui resta à Pesmes jusqu'au 25 juillet ils se livrèrent au pillage le plus éhonté des biens des bourgeois de Pesmes, rançonnant les habitants et emmenant le bétail jusqu'à Auxonne.


1 d'une autre famille que celle de Geneviève et de Georges de la Baume respectivement mère de Suzanne de Beaujeu et beau-père de Guy de Crécy.
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Henri IV en quittant Pesmes alla assiéger Rochefort qu'il pris d'assaut, s'approcha de Besançon qu'il mit à contribution puis vint mettre le siège devant Arbois. Le 10 aout 1595 pendant que ses troupes sont devant Arbois il installa son poste de commandement à Montigny dans le château qui, à la génération suivante, deviendra la résidence principale des Crécy par le mariage en 1641 de Claude-Emmanuel de Crécy avec Antoinette de Rosières héritière de Montigny !

Pour en revenir à la carrière militaire de Guy de Crécy, il dut avoir bien d'autres occasions de se battre mais nous ne savons rien de ses campagnes.

En 1616 il est en garnison à Orgelet à la tète d'une compagnie de piquiers pour laquelle il fait faire un drapeau. Son fils Pierre de Crécy est enseigne dans sa compagnie et pour lui apprendre le côté administratif du métier il laisse à Pierre le soin d'enquêter sur un vol de trois fromages dont s'étaient rendus coupables les soldats de la Compagnie.

Mais le métier militaire, surtout à cette époque, ne nourrit pas son homme. Les difficultés financières de Guy de Crécy ne font qu'empirer au fil des ans.

En 1609 pour tacher de la soustraire à la meute de ses créanciers Guy vend la seigneurie de la Résie à son fils ainé Claude émancipé par son mariage avec Jeanne du Sachet.

La reprit-il plus tard à son fils, ou s'agissait-il d'une vente partielle ? Toujours est-il qu'en 1613 nous le voyons de nouveau vendre la Résie cette fois à sa fille Bonne de Crécy femme d'Etienne de Montureux.

Les dettes ne sont pas éteintes pour cela. En 1616 Guy est contraint de vendre à "réachapet" de trois ans (c'est-à-dire avec possibilité de les racheter dans un délai de trois ans) plusieurs héritages dépendant du Trembloy.

En 1617 il fait un traité avec son fils Claude de Crécy (XI) pour partager de son vivant le Trembloy avec lui. Mais cette ruse qui ne semble avoir eu pour but que de soustraire ce fief à l'avidité des porteurs de créances, ne réussit pas puisque, le 26 mars 1618 le Trembloy et la Résie sont "mis en décret" par décision poursuivie par le bailliage de Gray.

Pour sauver quelque chose du naufrage les enfants de Guy de Crécy ne manquent pas de se poser eux-mêmes en créanciers et de demander à être payés des dots et joyaux de feue Suzanne de Beaujeu leur mère.

Nominalement ce sera le gendre de Guy de Crécy, Etienne de Montureux qui rachètera le Trembloy et probablement aussi en partie Pierre de Crécy qui en 1636 est encore dit Seigneur du Trembloy, de même que Claude qualifié de Seigneur du Trembloy en 1628.

Mais tout porte à croire que ce ne fut là qu'une pieuse conjuration familial pour donner à Guy de Crécy l'illusion de mourir chez lui au Trembloy. Il y mourut en effet avant 1623. Car il semble bien que le bailleur de fond fut un certain M. Tricornot dont nous parlerons en épilogue à ce récit qui est convoqué aux États de Bourgogne sous le nom de Monsieur du Trembloy en 1621, 1624 et 1629. Il ne pouvait être officiellement seigneur du fief noble du Trembloy sans être d'abord noble lui même ce qui ne lui arrivera qu'après qu'il eut reçu de Philippe IV d'Espagne des lettres d'anoblissement en 1630. Le véritable propriétaire du Trembloy était donc vraisemblablement dès 1518 le sieur Tricornot qui commandita Etienne de Montureux, Pierre et Claude de Crécy acquéreurs officiels des biens paternels.

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Etienne de Montureux avait également racheté, réellement cette fois-ci, la seigneurie de Chaumercenne à son beau-père. Il la revendit à Léonel de Laborey qui devait la rétrocéder plus tard à Claude de Crécy (XI).

Claude de Crécy avait pour sa part acheté avec la dot de Jeanne de Sachet sa femme, la seigneurie de Chaumergy qui devait rester dans notre famille jusqu'à la Révolution.

Avec cette acquisition et bientôt (1641) avec celle de Montigny notre famille s'enfonce un peu plus au cœur de la Fanche-Comté où elle restera jusqu'à la fin du XIX° siècle.

Mais Guy de Crécy est celui qui devait rompre toutes les attaches de notre famille avec l'extérieur en perdant d'abord le Houssay, puis la terre encore frontalière du Trembloy par quoi nous étions devenus franc-comtois.

Une nouvelle page s'ouvre donc que nous écrirons peut-être un jour si cette chronique a su intéresser nos lecteurs.

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XII - Epilogue - La destinée du Trembloy -

Que devinrent le Trembloy et la Résie après que ces fiefs furent sortis des mains de notre famille ?

Des bourgeois de Pesmes, récemment anoblis par la robe, les Aubert se dirent au XVII° siècle Seigneurs de la Résie et le resteront jusqu'à la révolution. Mais il y eut probablement division de la Résie en deux fiefs la grande et la petite Résie.

Une autre famille prit en effet la qualité de Seigneurs du Trembloy et de la Résie succédant ainsi aux Crécy dans la majeure partie de ces deux fiefs. Il s'agit, nous l'avons vu, des Tricornot.

Cette famille doit son ascension à la Robe. Jean Tricornot né en 1524 fut conseiller au Parlement de Dole et marie ses filles à d'autres familles de robe les Grivel et les Santans.

Un neveu de Jean, Denis Tricornot procureur final à Gray et tabellion général du Comté fit construire une maison à Gray. Il épousa Jeanne de Lannoy dont la mère était Marguerite Perrenot de Grandvelle encore une fille du ministre de Charles Quint. Mais c'est de sa seconde femme Jeanne Meyrot d'une vieille famille bourgeoise de Pesmes récemment anoblie qu'il eut Charles Antoine Tricornot, le premier qui portera le titre de Seigneur du Trembloy.

Charles Antoine Tricornot lieutenant et avocat final à Gray fut probablement celui qui finança le rachat du Trembloy. Il était nous l'avons vu convoqué aux États de Bourgogne sous le nom de Monsieur du Trembloy en 1621, 1624, 1629. Mais il ne fut anobli par lettres patentes de Philippe IV d'Espagne que le 12 novembre 1630 et ne pourra qu'alors prendre la titre de Seigneur du Trembloy.

Continuant à s'élever dans la hiérarchie sociale par ses alliances et par l'épée, la famille de Tricornot reçut en 1749 le titre de Baron.

Les Tricornot devaient s'illustrer avant et après la Révolution dans l'Armée et la Diplomatie.

Par un curieux retour du destin il devait y avoir encore une Crécy à porter le nom de Madame du Trembloy, ce fut Alexandrine Françoise de Crécy fille de Ferdinand-Denis (XVI) qui, d'abord destinée au cloitre comme chanoinesse de Remiremont épousa le 24 juin 1779 Jean-Baptiste-Emmanuel-Louis de Tricornot baron du Trembloy. C'est elle qui devait finir sa vie avec sa sœur Ferdinande à Bourg-en-Bresse ou tante Isabelle et tante Béatrix (tante Bebe) de Crécy allèrent enfants les visiter vers 1855, comme le relate cette dernière dans le petit livre qu'elle a laissé à la mémoire de Marie de Courtivron sa mère.

Les Tricornot subsistent toujours. En 1952, lors d'une tournée dans la région de Gray une délégation de notre famille n'osa pas rentrer au château du Trembloy parce qu'on lui avait dit que le baron Thomas de Tricornot le propriétaire se reposait et n'aimait pas être dérangé pendant sa sieste !

Enfin deux cousins de la branche dauphinoise des Crécy d'aujourd'hui, Bruno et Jacques de Galbert ont épousé Gisèle et Elisabeth de Tricornot.

Rappelons encore une coïncidence curieuse. Les Tricornot qui avaient été aussi seigneurs de la Résie y possédaient encore au siècle dernier un château et une propriété qui fut la dot de Josèphe-Alice-Marie-Laurence de Tricornot mariée le 19 aout 1872 à Adolphe Alexandre Comte de Sainte-Marie d'Agneaux.

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Une branche de cette vieille famille normande fut donc attirée par un mariage en Franche-Comté comme l'avaient été les Crécy 400 ans plus tôt. A la génération suivante un héritage devait amener la nouvelle branche franc-comtoise des Sainte-Marie d'Agneaux au château de Montigny qui leur venait des descendants du baron Dupin, le Général d'Empire qui avait acquis Montigny des Boutechoux à qui Ferdinand Denis de Crécy (XVI°) avait vendu ce château en 1779. Actuellement les Sainte-Marie d'Agneaux occupent encore Montigny. Venue de plus loin cette famille a donc par deux mariages et en 50 ans accompli le même circuit en Franche-Comté que les Crécy avaient mis près de trois siècles à parcourir.

 

TABLE

  Avant-propos
1
I -
La Maison forte du Trembloy
2
II -
Un guerrier du XIV° siècle et son gendre : Guy
du Trembloy et Nicolas de Crécy
3
III -
Une veuve prodigue : Marie du Trembloy
5
IV -
Une brillante génération de Crécy
au service de Charles le Téméraire
6
V -
Les Crécy dans la tourmente :
chute du Duché indépendant de Bourgogne
7
VI -
Une aïeule avisée : Agathe de Lizac
8
VII -
Un clan franc-comtois : les Mouchet
10
VIII -
Un gentilhomme franc-comtois sous Charles Quint
12
IX -
Une enfance malheureuse : Guy de Crécy
14
X -
Le clan Beaujeu et le mariage de Guy de Crécy
16
XI -
Une expédition malheureuse en Picardie
et ses conséquences
18
XII -
Le siège de Pesmes par Henri iV.
Comment Guy de Crécy fut frustré d'une bataille
21
XIII -
Epilogue - La destinée du Trembloy
25

 

 

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