// Document n°5

Documents n° 5

Lettre d'Antoinette de Veyrinas (née Gauthier de Bellefond, soeur de Jaqueline de Crécy) 
à sa nièce Jeanne Jourdier (
née Crécy, fille de Jaqueline de Crécy).

Texte dactylographié à partir de l'original manuscrit

 

C'est surtout ton papa qui a fait preuve d'un courage admirable en faisant sortir des prisonniers de la zône occupée, et ta maman qui allait porter à manger à ces prisonniers que ton papa avait cachés dans la nature. Ensuite, il les amenait par le train jusqu'à Montceau-les-Mines; mais je ne peux plus me rappeler de quelle façon j'entrais en contact avec ton papa pour savoir les jours et les heures d'arrivée de ces prisonniers évadés. D'ailleurs, ton papa ne les emmenait pas tous à Montceau: il fallait diversifier les lieux de passage en zone libre; nous avions des "combines" avec Melle.Forest et Melle Laury; nous avions des "passeurs": entre autres, Francis Lagoute, qui était épatant.

Je me souviens d'avoir piloté une fois un officier, et, lorsque nous sommes arrivés vers le bois de la Gerbaude, je lui ai dit: "Maintenant, vous êtes en zone libre", j'ai cru qu'il allait défaillir d'émotion. Ensuite, il fallait aller à pied à Mont-St­Vincent, à la gendarmerie, faire démobiliser tous ces libérés. Dans l'autre sens aussi, il fallait convoyer des personnes qui voulaient retourner en zône occupée. Alors, Grand-mère* les "promenait" sur le chemin des Gris, et moi, je passais par la route, portant les bagages sur ma bicyclette! et on se retrouvait vers l'étang du Plessis.

Une fois, je devais passer des documents importants (d'un officier, je crois) d'Ezpuits à Montceau; je ne tenais pas à passer par la ligne de démarcation, je suis donc partie au Plessis, par la forêt, à bicyclette, par une neige épaisse; je me suis cassé la figure plus d'une fois, mais je fonçais, ayant peur de tomber sur une patrouille allemande, le Plessis étant occupé par une belle bande d'Allemands. Quand je suis arrivée, Roland et Georgette de Barbentane m'ont dit que j'étais folle! mais j'étais ravie d'avoir roulé les Allemands.

Bien sûr, j'ai fait un énorme trafic de lettres dans les deux sens; elles arrivaient soit chez Melle Forest, soit chez Melle Laury, en zone occupée, soit à Ezpuits.

A Ezpuits, il y avait pas mal de passages de civils, ou d'officiers de l'Armée secrète. Une fois, est arrivé un officier de marine français avec sa femme, ravissante Polonaise, que nous devions passer en zone occupée, car elle devait aller en Pologne photographier des installations militaires allemandes, et ramener des photos en zone libre; c'est Grand-mère qui l'a emmenée par la route des Gris, et, moi, j'ai passé sa valise à bicyclette, par la ligne de démarcation; au retour, c'est Francis Lagoute qui l'a ramenée de Montceau à Ezpuits, par des petits chemins: nous avons dit "ouf"!..., car, dans sa valise à double fond, il y avait une quantité de photos d'installations militaires que les Anglais ont pu bombarder.

Ce malheureux ménage est allé ensuite se cacher, se sachant recherché, mais des salopards l'ont retrouvé et ils sont morts sous la torture au camp de Montluc à Lyon,

Des officiers français basés à Charolles venaient s'informer des effectifs allemands cantonnés à Montceau; je les renseignais dans la mesure du possible: c'est le Colonel Léger qui, venant un jour à Ezpuits, m'avait prévenue qu'il avait reçu une lettre de dénonciation sur moi, comme étant gaulliste ! Il aurait pu m'arrêter, mais, en riant, il m'a dit: "Ne vous inquiétez pas, je suis du même bord que vous, mais je tiens à vous prévenir que c'est votre ami Mr Desvaux, de Marigny, qui vous a dénoncée'.!".

Je suis tombée de haut, d'autant plus que je lui passais tout son courrier.

Le Colonel Léger et son adjoint étaient ravis de venir manger des tartes à Ezpuïts!

Bien après la guerre, nous avons eu la visite du Colonel Rémy, qui écrivait ses bouquins sur la Résistance.

Madame de Bellefond, mère d'Antoinette de Bellefond et de Jacqueline de Crécy.

 

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